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Sale petit bonhomme – Brassens expliqué (reprise & analyse)

18 Sep 2019 | Music | 3 comments

Artists: Georges Brassens   -   Genres: French songs | Guitar | Jean | Real live

 

Comme la plupart des oeuvres de Georges Brassens, le texte utilise une métrique, ce qui rend la rédaction beaucoup plus pointilleuse qu’un texte libre.
Les alexandrins (sur lesquels Brassend prend ici quelques libertés) sont des vers qui comportent deux hémistiches (ou sous-vers) de six syllabes chacun, et les octosyllabes sont des vers de 8 syllabes. Ces rythmes proviennent des anciennes métriques de la poésie française.

Le “Sale petit bonhomme”, titre de la chanson, personnage éponyme, est Cupidon.
Cupidon est le dieu de l’amour dans la mythologie romaine. Il est souvent repris dans des poèmes ou même des dessins-animés, pour représenter les caprices de l’amour.
Avec son arc, Cupidon envoie des flèches dans les coeurs, et la personne touchée tombe amoureuse de la prochaine qu’il croise.
Cupidon est souvent représenté comme un enfant avec des ailes.
Il peut tantôt porter un bandeau sur les yeux pour tirer à l’aveuglette : le proverbe “l’amour est aveugle” peut s’y référer, l’amour est indépendant de la raison.
Ou tantôt un bandeau sur un seul oeil, pour bien ajuster son tir.

Voici les paroles de la chanson expliquées, il s’agit principalement de ma libre interpretation.

Sale petit bonhomme, il ne portait plus d’ailes,

– Cupidon est un “sale” petit bonhomme : dès le début de la chanson, Cupidon, est représenté comme quelque chose de négatif pour l’auteur. Ce n’est plus un enfant malin qui sème l’amour : c’est une saleté. Et par extension, les choses de l’amour aussi.
– Il ne portait plus d’ailes : on pense à l’ange déchu, banni du Paradis, à Lucifer. Ce sale petit bonhomme perd ses attributs divins ou angéliques.
– En un vers, le ton est donné. C’est une des chansons les plus tristes et pessimistes de Brassens, peut-être pire que la chanson “il n’y a pas d’amour heureux”.

Plus de bandeau sur l’œil

– Plus de bandeau sur l’oeil : oeil est au singulier, il s’agirait donc de la version dans laquelle Cupidon ajuste son tir avec un oeil bandé. Plus de bandeau : il ne décochera plus de flèches, il n’y aura plus d’amour.

et d’un huissier modèle,
Arborait les sombres habits

– “Huissier modèle” : rare pour Brassens, il utilise dans cette chanson le champ lexical de la finance, qui devait être pour lui quelque chose de pas jojo. Cela sied bien à cette chanson pas super optimiste.
– Il arborait les sombres habits d’un huissier modèle : Brassens était anticlérical, antimilitariste, libertaire. L’huissier modèle est pour lui une représentation négative, loin d’être un modèle, une Némésis plutôt qu’un modèle.
– Cette saleté de Cupidon déchu, qui ne donnera plus d’amour, arbore les sombres habits d’un huissier modèle : Cupidon devient un problème.

Dès qu’il avait connu le krach, la banqueroute,

– Champ lexical de la finance : Cupidon n’est plus un dieu de l’amour, c’est un financier sans coeur déchu

De nos affaires de cœur, il s’était mis en route
Pour recouvrer tout son fourbi.

– Cupidon a repris ses affaires et a quitté nos affaires de coeur, il a abandonné notre amour.

Pas plus tôt descendu de sa noire calèche,

– La noire calèche continue à enfoncer Cupidon qui devient démoniaque ou funéraire
– “Pas plus tôt” = immédiatement ; Cupidon ne perd pas de temps pour détruire l’amour

Il nous a dit : « je viens récupérer mes flèches
Maintenant pour vous superflues. »

– Confirmation : “il n’y aura plus d’amour pour vous”

Sans une ombre de peine ou de mélancolie,
On l’a vu remballer la vaine panoplie

– “sans une ombre de peine” : c’est très fort, Cupidon agit sans remords
– la panoplie : comme l’amour est représenté par les flèches de l’arc, des objets sont utilisés comme métaphores pour des sentiments ; Cupidon reprend la panoplie = l’intégralité de tout ce qui concerne l’amour
– “vaine” panoplie : l’amour est vain en général, ou ici n’a plus lieu d’être

Des amoureux qui ne jouent plus.

– les amoureux “jouaient” : l’amour n’était finalement qu’un simple jeu, comme des enfants qui jouent

Avisant, oubliée, la pauvre marguerite
Qu’on avait effeuillée, jadis, selon le rite,

– Effeuiller la marguerite est un rite effectué par un(e) amoureux(se) : “elle (il) m’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout”, en enlevant un pétale de la fleur pour chaque assertion
– la marguerite est oubliée : l’amour, la question de l’amour, est oubliée
– Cupidon avise la marguerite = Cupidon se met à s’occuper de la marguerite, de la question de l’existence de l’amour
– la “pauvre marguerite” : elle n’a rien demandé à personne
– “Jadis” : l’amour est maintenant dans le passé
– “selon le rite” : notre amour était pourtant un amour “normal”

Quand on s’aimait un peu, beaucoup,

– Brassens explique ici, en s’arrêtant à : “beaucoup”, qu’il s’agissait d’une vraie histoire d’amour, pas d’une amourette

L’un après l’autre, en place, il remit les pétales ;

– Cupidon remet les pétales en place : c’est comme s’il effacait l’histoire d’amour. L’image est forte et unique. Normalement, la marguerite est effeuillée, l’histoire d’amour peut avoir une fin, mais ici, elle est “effacée”, avec une remise à zéro, comme si elle n’avait jamais existé

La veille encore, on aurait crié au scandale,
On lui aurait tordu le cou.

– Brassens insiste sur le fait que la veille, ils auraient tordu le cou à un Cupidon qui veut effacer leur histoire d’amour. Son amoureuse et lui auraient crié au scandale et tordu le coup à un Dieu pour sauver leur amour. Mais aujourd’hui, ils ne font rien.

Il brûla nos trophées, il brûla nos reliques,
Nos gages, nos portraits, nos lettres idylliques,
Bien belle fut la part du feu.

– Tout ce qui compose l’histoire d’amour, dans tous ses détails, est brûlé par Cupidon

Et je n’ai pas bronché, pas eu la mort dans l’âme,
Quand, avec tout le reste, il passa par les flammes
Une boucle de vos cheveux.

– On a ici le poème le plus désabusé d’un Brassens résigné.

Enfin, pour bien montrer qu’il faisait table rase,

– “pour bien montrer que” : Cupidon continue son oeuvre de destuction
– table rase : Cupidon continue à tout effacer

Il effaça du mur l’indélébile phrase :

– l’indélébile ne peut pas s’effacer, c’est un oxymore : Brassens supposait que son amour était indélébile, que rien ne pourrait l’effacer. Puis Cupidon arrive, et directement, efface l’indélébile.

« Paul est épris de Virginie. »

– “Paul et Virginie est un roman de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, publié en 1788. Exemple du roman de la fin du xviiie siècle, il connut un immense succès qui dépassa les frontières.”, il s’agit d’une histoire sentimentale.
– La phrase est effacée du mur : Paul n’aime plus Virginie.

De Virginie, d’Hortense ou bien de Caroline,

– Comme Cupidon efface l’amour, on ne sait plus qui était aimé

J’oublie presque toujours le nom de l’héroîne
Quand la comédie est finie.

– Comme l’amour était ci-dessus un vulgaire jeu, il devient ici une comédie avec des acteurs, quelque chose de faux.

« Faut voir à pas confondre amour et bagatelle,

– Brassens insistait ci-dessus sur le fait que son histoire d’amour était réelle, et pas une amourette : Cupidon lui dit que son histoire n’était qu’une bagatelle

A pas trop mélanger la rose et l’immortelle »,

– Cupidon parle sur un ton familier, déchu, méchant, léger
– La Rose et l’Immortelle est une fable du poète Pierre Garnot de 1842 dans lequel une rose se prend pour une reine. “L’immortelle” rappelle à la rose sa mortalité, qui alors se fane et s’évanouit.

Qu’il nous a dit en se sauvant,

– “qu’il nous a dit” : peut-être une ancienne formulation, ou sinon une formulation vulgaire pour souligner le caractère léger et vulgaire de Cupidon
– “en se sauvant” : Cupidon se sauve comme un voyou

« A pas traiter comme une affaire capitale
Une petite fantaisie sentimentale

– Même chose que plus haut : la belle histoire d’amour de l’auteur est réduite à une petite fantaisie par Cupidon

Plus de crédit dorénavant. »

– Cupidon ne donnera plus de crédit : il ne portera plus d’estime aux histoires d’amour de l’auteur, en gros, “l’amour, c’est fini pour toi”.

Ma mie, ne prenez pas ma complainte au tragique.
Les raisons qui, ce soir, m’ont rendu nostalgique,
Sont les moins nobles des raisons,
Et j’aurais sans nul doute enterré cette histoire
Si, pour renouveler un peu mon répertoire
Je n’avais besoin de chansons.

– Brassens lui-même commence à donner moins d’importance à son histoire d’amour. Brassens est vaincu.

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